Comment j’ai appris à me maîtriser

Je m’étais endormi là où nous étions assis
et rêvai que j’étais sur terre. J’y vis ma femme en compagnie de quelqu’un d’autre en train de converser.
Cette conversation dont je fus le témoin faillit provoquer ma perte: 
j’entendis ma femme dire: “Oui, on entend de ces choses maintenant qu’il est mort.
C’est incroyable, qui aurait pu penser une chose pareille?
Quant à moi, je trouve cela épouvantable!” 
“Oui,” répondit l’autre, “il arrive qu’on se trompe.
Chacun a ses secrets
et l’on n’apprend à bien connaître quelqu’un qu’après sa mort.”
Des secrets. J’écumais déjà,
quels secrets?
Puis, ma femme ajouta: “S’il était encore en vie.”
Elle dit encore autre chose mais ma colère m’empêcha d’entendre la suite de cette conversation.
Je crus étouffer.
Savait-elle des choses sur moi?
Avais-je fait quelque chose de mal?
C’était pourtant impossible,
je n’avais rien fait de mal à ma connaissance.
Quelqu’un aurait-il médis sur moi?
Quels étaient ces ragots et ce “s’il était encore en vie”?
Ne vivais-je donc pas?
Elle me touchait au plus profond de mon âme.
J’avais bien besoin de ça! Comme si je n’avais pas déjà assez de misères.
C’est dans cette colère, en pensant à cette conversation, que je me réveillai.
Elle me rendait nerveux et je sentais la colère monter en moi.
Qui aurait pu penser une chose pareille?
Parce qu’elle croyait en ces ragots?
Ne me connaissait-elle pas,
n’avait-elle pas confiance en moi?
L’avais-je trahi, étais-je un escroc?
Je sentis ma maladie resurgir, ainsi que tous mes supplices physiques.
Des milliers de pensées traversaient ma tête.
Non, c’était trop pour moi.
L’avais-je trahi ne reste qu’une seule fois?
Comment pouvait-elle penser une chose pareille?
Qui donc était cette autre personne?
Qu’insinuait-elle en disant “c’est épouvantable”, et “maintenant qu’il est mort, on apprend à le connaître”?
Oh, si seulement j’avais pu arrêter ce flot de pensées, elles me donnaient le vertige.
Je le lui ferais payer. Je voulais savoir qui parlait de moi de cette manière derrière mon dos.
Ma gorge enflait et j’eus une soif terrible.
J’essayais de retrouver mon calme mais n’y parvins pas.
Je retournai sur terre en pensées, car je voulais absolument connaître la vérité.
Qui donc était en train de salir mon nom
et souillait mon image après ma mort?
J’étais dans un état comme jamais je n’avais été auparavant.
Ma soif était revenue en même temps que mon mal de gorge et la fièvre.
Ne serais-je donc jamais délivré d’eux?
Je sentais des douleurs aiguës dans la poitrine accompagnées de cette angoisse que j’avais ressentie sur terre.
Je criai aux secours mais il n’y avait personne dans les environs.
J’appelai donc le frère mais il ne vint pas non plus, et je dus rester seul avec tous mes ennuis et misères.
Je voulais mettre fin à ces ragots car je n’étais pas mort, je vivais et ne l’avais jamais trahi de ma vie. Jamais!
J’allais lui montrer qu’elle n’avait pas à avoir honte de moi, parce que je n’étais pas méchant comme elle le prétendait.
Je crus devenir fou et me tapai la poitrine avec mes poings serrés, si fort que je m’effondrai presque.
Puis je rebondis et me mis à courir comme un fou.
Je ne pouvais plus produire de son et je sentis mon corps brûler comme il l’avait fait sur terre lorsque la fièvre avait été à son sommet.
Il fallait que je retrouve mon calme, car je passais du coq à l’âne et étais incapable de faire autrement.
Je voulais être calme et réfléchir, mais n’y parvins pas, quoique je fisse.
Il était déjà trop tard, j’avais perdu le contrôle sur moi-même et me sentais partir dans tous les sens.
Où donc était le frère et pourquoi me laissait-il seul?
Je n’arrivais presque plus à voir de mes yeux, tandis que la nature et tout ce qui m’entourait se transformait.
Le peu de lumière que j’avais observé s’affaiblit et l’on aurait dit que tout devenait obscur.
Nulle lumière, nulle personne à qui je pouvais demander la moindre chose!
Mon Dieu, n’avez-vous donc pas pitié?
Qu’ai je fait pour souffrir autant?
“Dieu, oh Dieu, aidez-moi,” m’écriai-je.
“Dieu, si vous existez, comment pouvez vous tolérer cela?
Pourquoi me laissent-ils seul?
Je vais devenir fou, fou!”
Je m’efforçai de devenir calme et réussis un peu.
Il me fallait penser, et je devais à tout prix connaître la vérité.
Je repensai aux instants passés avec le frère, lorsque celui-ci m’avait parlé de la vie ici
en me rappelant chacune de ses paroles.
C’est alors que je m’étais endormi et c’est là que j’avais eu ce rêve.
Fais très attention maintenant, criais-je à voix haute, et tiens-toi tranquille!
J’avais entendu parler dans ce rêve et m’étais réveillé en sentant la colère m’envahir, puis ces supplices d’avant étaient revenus.
Cette maudite maladie, quand guérirai-je enfin?
Mais là ne résidait pas le problème.
Ce qui importait c’était ces ragots. Je voulais savoir pourquoi elle parlait de moi de cette façon.
En même temps, je ne parvenais pas à me défaire de ma maladie.
Elle revenait en moi de façon sournoise, si bien que je me sentis exactement comme lorsque je vivais sur terre.
Quelle horreur, me dis-je, dans quel état suis-je?
Toutes ces histoires à propos d’esprit ceci, esprit cela, et sphères çà et là: toutes ces questions spirituelles allaient me rendre fou.
Et en plus il fallait que je me les approprie?
Je ne m’appartenais plus et m’étais perdu pour de bon.
Toutes ces pensées me traversaient la tête à une allure hallucinante mais je n’en retenais aucune.
Je me trouvais dans un labyrinthe psychique et voyais des sphères dans lesquelles tourbillonnaient des hommes, des animaux et la nature.
Soudain, il y eut comme une pause pendant laquelle j’ai entendu parler comme si quelqu’un d’autre parlait en moi: “Qui l’a incité? Qui donc a brisé notre bonheur?”
Mais je ne parvins pas à retenir cette pensée non plus, car d’autres venaient la repousser.
C’est alors que je me remis à crier aux secours, mais ma gorge s’était nouée.
Cet appel à l’aide ne produit plus qu’un bruit étouffé et désagréable, le cri d’un fou.
Il y avait aussi cette obscurité dont je ne comprenais rien.
Je ne voyais aucune étoile ou rayon de lumière,
si bien que je ne pus m’appuyer nulle part.
Je maudissais le moment où j’avais rêvé, ainsi que tout ce qui était lié à ma vie terrestre.
En moi se trouvait un chaos fait de questions spirituelles.
J’étais entouré de nombreux problèmes auxquels je ne comprenais rien.
Dieu ne me répondait pas,
tandis que je ne voyais ni le frère ni la moindre personne dans mon entourage.
Je criai une fois de plus de toutes mes forces, si bien que je crus déchirer ma gorge. Mais le frère ne vint toujours pas.
“Appelez-moi dès lors que vous estimez avoir besoin de moi”, avait-il dit.
Je hurlais et personne ne venait me voir.
Je maudis tous ces problèmes, je maudis ma propre personne et ma femme qui était sur terre, ainsi que tout ce qui m’entourait et habitait.
Je maudis tous ces gens en train de se taire et qui faisaient un travail sur eux. Ils pensaient, rêvaient et songeaient à tout ce qu’ils avaient vécu en me frôlant au passage comme des morts-vivants. Je maudis également le moment de mon entrée ici.
Cet endroit était-il supposé être mon ciel dans la vie après la mort?
C’était plutôt un asile oui, et ceux qui me parlaient, ceux qui se baladaient dans la nature, ressemblaient tous à des aliénés.
Un grand vertige m’envahit soudain et je tombai à terre.
Si seulement j’avais pu m’endormir. Mais c’était impossible.
Les pensées m’accablaient, et j’étais profondément troublé par cet état d’esprit.
Je m’efforçai de dormir mais dus abandonner.
Tout s’entremêlait dans ma tête malade, au point que le peu de concentration qui était en moi fut détruit.
Moi qui n’étais “rien”, tapais sur ce rien, d’une telle façon que je crus perdre la raison.
Mais je ne la perdais pas, c’est le sommeil que j’avais perdu.
La folie s’était saisie de moi et me tenait prisonnier, mais je la reconnaissais en tous ces gens et ces forces spirituelles. Et il y avait ces phrases aussi: “s’acquérir des trésors.” Ce n’était rien d’autre que le travail du diable!
Ce démon s’était emparé de moi, je m’étais égaré et j’étais arrivé dans ce lieu terrifiant!
Cette idée eut un tel effet sur moi que je risquais d’exploser si l’on ne venait pas subitement à mon secours.
Ils n’ont qu’à venir m’aider, puisqu’ils aiment bien se tracasser pour les autres, pensai-je. Et s’ils savent lire les pensées des autres, ils doivent m’entendre, non?
Or, où sont-ils maintenant?
Je ne vis arriver personne.
C’étaient des pauvres types, des malheureux, tout comme moi, en train de s’imaginer des trucs.
Des syntonies spirituelles! J’en ris.
Toutes ces syntonies me rendaient fou.
Ha, ha, vous avec toutes vos bonnes qualités, venez donc, allez, j’ai besoin de vous, j’ai besoin d’aide!
“Aux secours, aux secours,” criai-je sans recevoir de réponse.
Cette nature sombre et grise pesait sur moi comme du plomb.
Où donc avais-je atterri?
J’étais si révolté! Je ne m’étais jamais vu comme cela.
De toute évidence, je ne m’appartenais plus.
Mais qui ou quoi m’avait mis dans cet état?
Ma soif me faisait souffrir le martyre, et voulant boire, je me mis à courir vers le ruisseau que j’avais vu.
Mais j’avais beau chercher, je ne le trouvai pas.
Oh, cette soif horrible!
Le frère, qu’avait-il dit?
Vous n’avez ni soif, ni faim, et il n’existe pas de maladie.
Il n’y a pas lieu d’être malade, car vous vivez dans l’esprit et êtes mort sur terre!
Votre vie est une vie dans la pensée, si seulement vous l’acceptiez.”
Ne l’acceptais-je donc pas?
Ne pensais-je pas?
Cela me rendit fou!
Il avait également dit: “J’ai été sur terre moi aussi, tout comme vous. J’y ai vécu, bien que ce fut dans d’autres conditions que vous.”
Absurdité! Des divagations! Seuls les fous parlaient, ou plutôt divaguaient ainsi.
Ici vivaient uniquement des déments, j’en étais alors pleinement convaincu.
“Nous sommes tous des frères et sœurs dans l’esprit,” j’entendais encore les paroles de celui qui m’avait dit toutes ces absurdités.
Ils vivaient pour Dieu et pour tous les autres.
et pour tous ceux qui venaient vers eux, tandis que moi, on me laissait seul dans les pires conditions, des conditions inhumaines.
Si je perdais la raison, c’était de leur faute.
Je sentis une douleur brûlante au plus profond de moi,
une sensation indicible.
L’on aurait dit que quelque chose était en train de se consumer, tant cela me brûlait intérieurement.
Et ce feu ne faisait qu’aggraver ma soif.
Ce n’est que lorsque ces supplices s’estompèrent que je pus reprendre mes réflexions depuis le début,
car il me fallait absolument connaître la vérité.
Je voulais savoir ce que signifiaient ces ragots sur terre.
Cela ne me laissait pas tranquille et j’y revenais sans cesse. Comme des pensées venues de l’extérieur.
Où pouvais-je trouver la réponse?
C’était tout de même méchant de parler de moi ainsi.
En pensant à la terre et à cette conversation, je sentis soudain le calme revenir en moi.
J’eus l’impression de mieux pouvoir me concentrer. Étais-je en train de m’imaginer des choses?
Non, j’étais calme et écoutais attentivement les paroles,
mais je restai prudent. Mon objectif était de me retrouver et de maintenir un seul et même état.
Si seulement j’y arrivais, je pourrais alors progresser.
C’est pourquoi je me dis à voix haute: “Gerhard, qu’es-tu en train de faire? Tu deviendras fou si tu ne te tiens pas tranquille!
Pourquoi te fâches-tu comme ça?
C’est vrai, pourquoi?”
Le silence se fit en moi. J’étais calme et je poursuivis: “Es-tu mort ou vivant?”
J’étais mort et en même temps vivant.
Puis, j’entendis une voix me dire: “Cela ne te dit donc rien?”
Si, cela me disait beaucoup, mais quoi?
Alors, de qui venaient-elles? De qui venaient ces pensées?
Ce n’étaient pas les miennes en tout cas. Alors, de qui venaient-elles?
Je n’eus pas de réponse, c’est pourquoi je repris depuis le début.
S’il était vrai que j’étais mort, en quoi me concernaient encore ces ragots sur terre?
Étant donné que je n’y étais plus et que l’on y parlait toujours derrière le dos des gens?
Les gens sont méchants, mais était-ce une raison pour que je me fâche?
Est-ce que cela me concernait encore?
C’était étrange. Dès lors que j’étais devenu plus calme, ma soif et ma douleur, ainsi que ma maladie, diminuèrent.
Elles disparurent dès l’instant où je réfléchis calmement.
Quant à la lumière, elle changeait aussi, et l’obscurité se leva.
“Tiens-toi tranquille maintenant,” m’ordonnai-je, “ne laisse pas ces choses t’envahir.
Reste calme, Gerhard, tu es sur la bonne voie. L’énigme se résoudra.
Réfléchis, mais reste tranquille.”
Quelque chose s’éveillait en moi, si bien que je sentis un certain bonheur m’envahir.
J’étais calme désormais, mais j’osais à peine penser, par peur d’enrager à nouveau.
Je m’entourai d’un mur afin de me conserver, parce que je ne voulais pour rien au monde retomber dans mon état précédent.
Mes jambes en tremblaient.
“Reste comme tu es, Gerhard, maintiens-toi!” Je répétais sans le vouloir les paroles du frère: “Maintenez cette idée que vous n’avez plus rien à faire avec la terre, ainsi, vous réussirez.”
Je répétai ces paroles maintes fois et parvins à préserver mon calme.
Il fallait toutefois que je pense, ou je ne pourrais avancer.
Je devais m’en sortir et devais en avoir le cœur net.
Je sentais qu’un conflit se résorbait dans ces instants et je pensai à ma femme, ainsi qu’à cet inconnu que je n’avais pas pu voir.
Ce qui s’était dit entre eux était terrible, mais en quoi cela me regardait-il encore?
Si j’avais été sur terre, qu’aurais-je fait?
Je le lui aurais prouvé en parlant avec elle.
Voilà, je lui aurais parlé, mais est-ce que cela aurait servi à quelque chose?
Si elle ne m’avait pas cru, je n’y aurais rien changé non plus, et j’aurais été obligé d’accepter.
Alors pourquoi ne pas en faire autant?
“Détache-toi, Gerhard, détache-toi de toutes ces pensées. Puisque tu es mort.
Tu es loin de la terre, très loin.”
À cet instant, quelque chose se rompit en moi, et un rayon de lumière perça l’obscurité et me rendit profondément heureux.
Je compris alors que je m’étais oublié.
La vie terrestre ne me regardait plus, je devais donc la laisser derrière moi et commencer à penser autrement. Dès l’instant où j’ai pensé autrement, je me suis senti heureux,
parce que j’ai aussitôt été délivré de ma maladie, de ma soif, ainsi que de tous ces supplices.
Oui, c’était bien cela, je n’avais pas pensé comme il le fallait.
Je m’étais trouvé dans cet état parce que j’avais perdu le contrôle.
Mais... dans ce cas?
J’osais à peine y penser, parce que dans ce cas, je venais de maudire et de me moquer de nombreuses personnes et de l’amour des personnes qui vivaient là.
Comment avais-je pu m’oublier à ce point?
Je cachai ma tête derrière mes mains et n’osai pas regarder la lumière en face.
Quelle horreur, comme je m’étais défoulé!
Je regardai autour de moi mais ne vis aucun être dans mon entourage.
Dieu saurait-il tout?
C’est alors que je baissai la tête, très profondément, tandis qu’une grande tristesse s’emparait de moi.
J’avais tellement souffert!
Je m’étais tellement battu dans cette lutte terrible.
Était-ce en vain?
Oh! Comment devais-je réparer tout cela?
Était-ce possible,
le pourrais-je un jour?
Pourtant, quelque chose de profondément enfoui en moi me rendait heureux.
Si je l’écoutais en silence, je parvenais à le sentir et à l’entendre.
Était-ce quelque chose de pur?
Serait-ce donc cela, le bonheur?
J’étais mort mais vivant, était-ce cela le bonheur que je ressentais?
Oui, oh Dieu, je venais de vaincre quelque chose en moi, grâce à cette lutte, je venais de me défaire de ma vie terrestre.
Je me sentais désormais détaché, entièrement détaché de la terre, délivré.
L’homme est si bête lorsqu’il échange sa vie terrestre contre la vie spirituelle,
et il ne peut le comprendre tant qu’il ne se connaît pas lui-même ni la vie.
Je songeais à tout cela, cette pensée avec laquelle je venais d’être connecté.
Cela concernait ce grand problème qu’était la mort: il s’était résorbé en moi.
Jusque-là, je n’avais pas cru en ma “mort”, et dès l’instant où j’avais accepté, tout avait changé en moi. En même temps, ma maladie et mes misères avaient disparues.
Si je n’avais pas cru en mon décès, c’est parce que je pensais de façon matérielle, tel un mort-vivant.
Tous ces gens rêveurs m’étaient désormais chers. Je les aimais, parce que je faisais partie d’eux, et je leur demandai pardon.
Je voulais tout réparer, parce que j’étais devenu conscient, même si mon costume était en caoutchouc et devait le rester,
du moins pour l’instant. Je me sentais devenir vivant et vis de la lumière, même si cette lumière n’était qu’une minuscule et faible flamme.
J’étais entré dans cette vie et venais de me défaire de la vie terrestre.
Il n’y avait pas de doute.
En me mettant en colère, j’étais revenu en arrière, sur terre donc, si bien que ma maladie et ces autres supplices étaient revenus.
Si je parvenais à me maintenir tel que j’étais, rien, venant de la terre, ne pourrait m’atteindre.
Cette crise avait été atroce mais je l’avais traversée une fois pour toutes, et je veillerais à ce que cela ne se reproduise plus.
Au fond de moi se trouvait une étincelle de cette chose grandiose que possédait le frère.
Qui, sur terre, peut prétendre bien se connaître?
Que ma souffrance pour y parvenir fut atroce!
Le jour où l’homme se trouvera face à ce moment suprême, il maudira tout, tel que je l’ai fait, pour finalement tout accepter.
Chacun doit un jour se vaincre, et je venais de me vaincre, ne serait-ce qu’en partie.
Je me rendais bien compte de cela, de la présence d’autres mauvais traits de caractère en moi qu’il faudrait vaincre et transformer en qualités spirituelles.
Quant à cette lutte-là, elle était derrière moi
et m’avait permis de me délivrer de la vie terrestre pour entrer définitivement dans la vie spirituelle.
Pour me vaincre, je m’étais frappé et flagellé.
J’étais dès lors capable de m’incliner, et pourtant, je n’étais qu’au tout début de ce long chemin éternel.
Il y avait encore tant de choses sur mon chemin que je devais m’approprier.
La souffrance que je venais de surmonter, et que tout être humain rencontrera, était la lutte contre soi-même.
Personne n’y échappe, que l’on soit dans cette vie ou sur terre.
Ceux qui entament cette lutte sur terre font partie des grands d’esprits.
Ils n’auront pas à lutter ainsi, pas autant en tout cas.
Il nous faut combattre nos mauvais traits de caractère et les déconstruire, déconstruire sans cesse jusqu’à ce qu’il ne reste rien de nous.
Dès lors, nous sommes en face de cette espace immense où tout le monde voit à travers nous. Mais nous n’avons alors plus rien à cacher.
Elles étaient en moi et je me disais qu’il fallait que je devienne ainsi.
Oui, cher frère, dorénavant je vous comprendrai mieux, pensai-je.
Je ressentais du bonheur et n’avais plus sommeil. Rien ne me troublait, et j’étais assis là, la tête appuyée sur mes mains pour méditer.
En moi étaient entrés le bonheur et la paix.
Soudain, j’entendis cette voix douce et familière, devenue si chère, me dire: “Voilà, Gerhard, mon frère et ami.”
Gerhard?
Il n’avait jamais prononcé mon prénom auparavant, mais c’était bien lui qui venait de le prononcer, cela ne pouvait être que lui.
Connaissait-il mon nom?
Cela m’enchanta.
Le fait d’entendre prononcer mon prénom me fit du bien et me flatta.
Cependant, je n’osais pas le regarder et suis resté assis, tandis qu’il continua à parler:
“Une véritable lutte de vie et de mort: une lutte pour passer de la vie terrestre à la vie éternelle.”
Je sentis son amour m’envahir, mais je ne bougeai pas,
car je venais de le maudire, ainsi que tous les autres qui vivaient là.
Je l’entendis alors dire: “Vous deviez vous battre tout seul. Je ne pouvais pas vous venir en aide: il vous fallait vous réveiller.
Tous ceux qui entrent ici traversent une lutte semblable, jusqu’à ce qu’ils acceptent.
Vous venez de vous défaire de deux aspects de votre personne, qui appartenaient tous deux à la terre.
Le premier a trait à la mort, le deuxième est votre manque de maîtrise sur vous-même.
Vous avez appris à vous maîtriser
et Dieu vous récompensera pour cette victoire sur vous-même.
Vous avez souffert, mais la mort vous a donné la vie éternelle en échange, tandis que votre maîtrise vous procure cette sérénité bienfaisante qu’est la sérénité spirituelle.
L’un vous conduisait le long de chemins obscurs en vous montrant des falaises et des profondeurs. L’autre a consumé votre haine et a étouffé vos sentiments destructeurs.
Cela vaut absolument la peine de lutter et de lutter contre vous-même.
En échange, vous avez reçu ce bonheur nouveau, car vous avez su vous préserver.
Il y en a beaucoup qui se perdent car ils ne possèdent pas les forces requises.
Continuez ainsi, Gerhard, mon ami, je vous soutiendrai en tout.
Vous avez cru entendre parler votre femme mais il faut que je vous dise quelque chose à ce propos.”
J’étais toute ouïe. Que signifiait cela?
Le frère poursuivit: “Je voulais en finir une fois pour toutes
et avais fait mes calculs, car je savais que vous alliez vaincre et jusqu’où je pouvais aller.
J’ai joué un jeu, un jeu extrêmement dangereux, en misant votre entière personnalité.
Cependant, je ne risquais rien, puisque je savais d’avance que vous y parviendriez. Je vous connais!
Il m’est arrivé la même chose que vous, bien qu’il fallût que je me batte contre d’autres forces. On m’a aidé aussi.
Vous deviez perdre votre personnalité, vous délivrer, et vous avez gagné.
C’est moi, Gerhard, qui vous a brisé, et à présent, votre piédestal terrestre a disparu.
Au moyen d’une vision, je vous ai connecté avec la terre et vous ai fait parvenir des mensonges.
C’est moi que vous avez entendu et non pas votre femme.
Ce que vous venez de vivre, Gerhard, oui, regardez-moi, vous l’avez vécu par ma volonté, parce que je voulais vous délivrer.
Vous avez vécu une expérience spirituelle. Autrement dit: vous vous êtes battu contre vous-même sous influence spirituelle.”
Je regardais le frère qui devina à quoi je pensais
Il ajouta: “J’ai maudit la vie, moi aussi.”
“Je l’ai fait dans mon ignorance.”
“C’est pourquoi Dieu vous pardonnera, tout comme Il m’a pardonné.
Venez, levez-vous et venez avec moi. Je vous remercie d’avoir montré autant de volonté.”
Je saisis et baisai ses deux mains.
“Non, Gerhard, ce n’est pas moi mais Dieu qu’il faut remercier. Venez à présent.”
“Nous sommes alors repartis, bras dessus bras dessous, à mon bâtiment. Je me sentais comme “l’enfant prodigue” lors de son retour.
J’étais devenu un autre homme.
“Maintenant que vous êtes libre,” dit le frère, “il est possible de retourner vers la terre. C’est votre récompense.”
“Vers la terre? demandai-je, surpris.
“Oui, vers la terre.
Votre famille, notamment votre femme et enfants
ne vous manquent-ils pas?”
“Oh si, j’aimerais beaucoup les revoir.”
“Dans ce cas, je viendrai vous chercher un peu plus tard, car vous avez sans doute besoin d’un peu de solitude.”
Le frère partit
et je m’agenouillai aussitôt pour prier longuement, et avec beaucoup d’intensité, le Père Tout-puissant pour Lui demander pardon.
Après cela, je sentis une sérénité bienfaisante en moi, et je m’allongeai pour me reposer et réfléchir.
Tout était calme en moi et plus rien ne viendrait perturber ce calme. J’étais heureux. Ce fut le premier bonheur naturel depuis mon décès sur terre.